05 février 2014

Jets privés : l’interview intégrale pour Forbes Afrique

En novembre 2013, j’ai été contacté par le chroniqueur économique Serge Tchaha du magazine Forbes Afrique dans le cadre d’une enquête portant sur le boom des jets privés en Afrique.

L’enquête est parue dans l’édition Février 2014.

Voici l’intégralité de l’entretien que j’ai eu avec M. Tchaha :

L’intérêt pour le continent africain est manifeste. Selon le dernier rapport de la CNUCED sur l’investissement dans le monde, l’Afrique apparaît comme l’unique zone dans le monde où les flux des IDE ont été en progression. On y a noté une augmentation de 5 %. Au total, ce sont 50 milliards qui y ont été injectés. Les tycoons sud-africains, nigérians, ivoiriens ou camerounais ou encore marocains ne cessent de déployer leurs activités sur le continent. Tout cela nécessite de se déplacer sur de longues distances.

Ajouter à cela le manque d’infrastructures, l’enrichissement de l’élite africaine, la nécessité d’optimiser le temps, vous comprendrez pourquoi l’Afrique est un terrain extrêmement fertile pour l’industrie des jets privés que l’on parle d’achat ou de location. Pour comprendre la dynamique de ce marché, Forbes AFRIQUE a rencontré Mehdi Dialmy, Contrôleur des opérations chez Privatefly.fr.

1. D’après vos estimations, que représente le marché de la location des jets privés en Afrique?

Il est très difficile de quantifier le marché de l’aviation d’affaires en Afrique ou d’avoir des chiffres exacts. Les entités délivrant ces chiffres à des échelles continentales, comme en Europe, ou en Amérique du Nord ont été créées par coopération entre tous les pays. Or, en Afrique, il n’existe peu ou pas de de coopération entre les autorités d’aviation civile de chaque pays ou entre les différentes associations de l’industrie.

Aussi, l’AfBAA (African Business Aviation Association) homologue de l’EBAA en Europe / NBAA aux Etats-Unis, n’a été créée qu’en 2012. L’industrie de l’aviation d’affaires africaine compte sur cette association pour fédérer les professionnels du continent et produire des informations et statistiques fiables.

Voici cependant quelques chiffres : Il y a environ 480 avions privés en Afrique. Depuis Janvier 2013, il y a eu à peu près 22 000 mouvements entre l’Europe et l’Afrique. Les vols en location comptent pour environ 55%, les 45% restants sont des vols entièrement privés.

Le trafic en Afrique du Nord a cru de 6.3% sur une année, avec près de 7 651 mouvements depuis Janvier 2013. Le Maroc représente la destination la plus importante avec plus de la moitié de ces mouvements.

Nous estimons à 60 000 le nombre de mouvements d’avions privés en Afrique depuis Janvier 2013. 50% de ces vols seraient intercontinentaux avec pour provenance : l’Europe, l’Asie, les Etats-Unis et le Moyen-Orient.

2. Selon votre analyse, quelles sont les principales raisons qui poussent vos clients à louer des jets privés quand ils vont en Afrique ?

Il y a plusieurs raisons expliquant l’engouement envers les jets privés en Afrique:

A- La géographie africaine et le manque d’infrastructures

  • Les distances entre les centres économiques africains sont importantes
  • Les infrastructures routières et ferroviaires sont en développement
  • Les réseaux des compagnies aériennes africaines sont construits autour de “hubs” limitant les liaisons directes “point-to-point” entre les villes africaines
  • Plus de 90% des vols privés en Afrique portaient sur des routes non desservies par des lignes commerciales régulières quotidiennes
  • Les jets privés peuvent atterrir sur bien plus d’aéroports que les compagnies aériennes afin d’acheminer les passagers au plus près de leur destination finale. (En Europe, les compagnies aériennes opèrent sur 300 aéroports, les jets privés sur 3 000 aéroports, soit 10 fois plus)

B- Une croissance économique considérable

  • Des explosions économiques dans certains pays pétroliers, minéraliers ou alors poussés par l’agriculture et le tourisme
  • De plus en plus de fortunes africaines

Ceci se traduit par l’adoption du jet privé pour sa flexibilité, son efficacité, et un gain de temps. Le luxe et la discrétion sont également un attrait pour les fortunes africaines.

Lumière sur le Nigéria:

Le Nigéria est le deuxième marché de l’aviation d’affaires en terme de vitesse de croissance, après la Chine.
De 2007 à 2012, on estime le total des dépenses en acquisition d’avions privés des fortunes du Nigéria à 6.5 milliards de dollars. Le Nigéria est donc passé de 20 avions privés à 180.

3. Etes-vous en mesure de dresser un portrait-type de vos clients qui se rendent en Afrique ?

Il est très difficile de créer un portrait-type de la clientèle des jets privés en Afrique et ailleurs. L’essence même de l’utilisation du jet privé est le sur-mesure (destinations, horaires, type d’appareil). Toutefois, une grande partie du trafic intercontinental africain provient des capitales ou centres économiques européens (Paris – Londres – Genève).

On relève également une croissance considérable des vols privés depuis la Chine, en lien direct avec les investissements considérables et croissants de la part des entreprises chinoises en Afrique.

Voici quelques exemples de routes types :

• Route 1: Londres – Lagos – Londres, sur 2 jours
Type d’appareil : Dassault Falcon 900 (Heavy jet)
Nombre de sièges : jusqu’à 13 passagers
Estimation du prix : à partir 112 000 EUR

• Route 2: Shanghai – Lagos – Shanghai, sur 3 jours
Type d’appareil: Gulfstream G550 (Ultra long-range jet)
Nombre de sièges: jusqu’à 14 passagers
Estimation du prix: à partir de 361 000 EUR / 480 000 USD

• Route “loisir”: Genève – Marrakech – Genève, sur 4 jours
Type d’appareil: Cessna Citation XLS (mid-size jet)
Nombre de sièges: jusqu’à 8 passagers
Estimation du prix: à partir de 23 000 EUR

4. De quels pays vient la plupart des personnes qui utilisent votre plateforme afin de louer des jets privés pour se rendre en Afrique ?

Les profils de nos clients sont très internationaux : Europe, Etats-Unis, Moyen-Orient (Arabie Saoudite / UAE), Chine.

Ces clients font partie de grandes multinationales ou de fonds d’investissement.

5. Quelle est l’importance du trafic intra-africain des jets privés ?

Le trafic intra-africain est, en effet, très important du fait des échanges économiques croissants entre les pays africainset notamment au sein de la CEDEAO.

Nous estimons à 50% (environ 30 000 mouvements depuis Janvier 2013) le trafic interne. Ceci est bien entendu le chiffre concernant les affrètements commerciaux, légaux. En réalité, ce chiffre est plus élevé, les vols en “grey charter*” ne sont pas recensés.

* Définition du grey charter : les vols en “grey charter” sont des vols opérés sur des appareils appartenant à un particulier ou à une entreprise, pour lequel le propriétaire est rémunéré sans posséder un certificat de transporteur aérien délivré par l’autorité d’aviation civile, lui permettant de vendre des vols sur son appareil.

6. Selon vous, quelles sont les perspectives du marché de la location et même de l’achat des jets en Afrique ?

Alors que l’aviation d’affaires stagne en Europe / Amérique, celle-ci connait sa croissance la plus rapide en Afrique. L’Afrique est un terrain d’opportunités pour tout le secteur et l’aviation d’affaires est un pôle créateur d’emploi croissant: des constructeurs à l’assistance aéroportuaire, en passant par les opérateurs, les fournisseurs de carburant ou les courtiers…

• Le constructeur brésilien Embraer (fabricant des séries Phenom et Legacy) estime qu’il y a avait 420 avions privés opérant en Afrique en 2012, il prévoit que ce chiffre sera porté à près de 670 en 2022.

• Les constructeurs installent d’ailleurs des centres de maintenance sur le continent (Maroc, Afrique du Sud, Nigéria) et des centres d’assemblage ou de manufacture de composants (Bombardier au Maroc).

• Les opérateurs étrangers (Europe, US, Moyen-Orient) y voient un marché porteur et exportent ainsi leur actifs en Afrique : Hangar 8 ou VistaJet y basent des avions, ExecuJet ouvre des terminaux d’aviation d’affaires en Afrique du Sud…

• PrivateFly établit des partenariats avec des TMC (Travel Management Companies) implantées en Afrique. Celles-ci reçoivent de plus en plus de demandes de déplacement en avions privés de la part de leurs clients grands-comptes et voient en la plateforme PrivateFly.fr un outil de distribution en ligne performant et efficace.

L’achat d’avions privés verra une croissance plus importante que la location (charter) en Afrique dans les années à venir. L’achat / la propriété d’avions privés dicte l’offre sur le marché de la location. Ceci est le fruit de l’enrichissement rapide en Afrique, à l’image de celui en Russie, mais sans les taxations empêchant les russes d’acquérir des avions occidentaux.

Toutefois, l’aviation d’affaires africaine doit faire face à des challenges afin de vivre une croissance stable et pérenne :

  • Grey charter : l’enrichissement rapide et l’acquisition de nouveaux appareils par des particuliers contribuent à la croissance du “grey charter”, qui se conclue par “des propriétaires vendant des vols sur leur avion à leurs amis.” Le grey charter est bien entendu global, mais cette pratique est plus courante dans les pays émergents. Il est donc nécessaire que les autorités d’aviation civile contrôlent ces pratiques et les empêchent afin de garantir la sécurité des vols en Afrique.
  • Financement de l’achat d’appareil et solvabilité des clients : les établissements de prêts pour l’achat d’avions privés sont limités et procèdent avec beaucoup de précaution lorsqu’il s’agit de financer de nouveaux achats en Afrique. Il y a toujours une préférence pour les jets privés haut-de-gamme placés sous le management de compagnies étrangères réputées afin de protéger la valeur de l’actif. Pour chaque transaction, il y a des coûts fixes, ceux-ci comptent pour une grande partie de la valeur de l’avion lorsqu’il s’agit d’un jet léger ou de moyenne taille. Il existe donc un manque d’offre sur ce segment en Afrique.
  • Assurances : les opérateurs aériens africains ou étrangers opérant en Afrique souffrent de coûts en assurance très élevés. Assurer un vol en Afrique ou à destination de l’Afrique est bien plus élevé qu’ailleurs. Il faut donc changer cette situation et supprimer ces “premiums” imposés à l’Afrique. L’industrie compte sur l’AfBAA pour fédérer et négocier avec les assureurs.
  • Aspects opérationnels et autorités d’aviation civile : Obtenir des permis de survol peut être un processus long et difficile pour un opérateur. L’opérateur doit, pour chaque vol, demander un permis de survol à chacun des pays sur sa “route”. Il sera très difficile de créer une “Afrique à ciel ouvert” mais il est essentiel que les autorités d’aviation civiles rendent ce processus plus efficace et plus rapide afin de répondre aux exigences de l’aviation d’affaires.
  • Formation du personnel de l’industrie : il est indispensable d’investir dans la formation des professionnels du secteur. De la maintenance des avions au service à bord en passant par l’assistance aéroportuaire au sol et la sécurité des vols, l’aviation d’affaires africaine doit répondre aux standards élevés exigés par les clients de jets privés : sécurité, rapidité, efficacité, flexibilité, service VIP.

PrivateFly a donc audité les opérateurs aériens opérant en Afrique et propose à ses clients des vols auprès des fournisseurs répondant à ces standards. Nos équipes sont également formées à délivrer un service VIP multilingue (français, anglais, arabe, allemand, italien, russe…) à nos clients 24/7.

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